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IL FAUT REPENSER

LE PARADIGME DE L'ENTREPRISE

 

Face à la crise du travail et du management que vit l'entreprise, au recul de l'entrepreneur au profit du financier, Jean Marc Le Gall préconise un changement de paradigme qui réhabilite les salariés comme partie prenante et amorce la pratique d'un nouveau management qu'appelle de ses vœux le MEDEF lui-même dans son Manifeste pour un nouveau management.

 

 

EN QUOI LE MANAGEMENT EST-IL DEVENU PROBLÉMATIQUE DANS L'ENTREPRISE ?

 

Du fait de la globalisation, le travail s'est accéléré ; les salariés sont beaucoup plus sollicités tandis que les moyens au service de l'humain et du social ont été réduits. Les managers sont moins nombreux mais doivent participer à des groupes de travail transverses, faire du reporting, etc. La hiérarchie est elle même submergée. Côté RH, les services ont diminué de moitié et on a suppléé avec des outils, des process. Les Rh sont eux aussi entrés dans une logique de reporting et se sont éloignés du terrain. Il y a donc eu recul en termes de veille sociale, de présence auprès des équipes, de connaissances des situations de travail. Ces dysfonctionnements de l'entreprise préexistaient à la crise. Mais s'il y a urgence aujourd'hui, c'est que la mondialisation, qui commence réellement maintenant pour les pays européens, va bousculer plus encore les entreprises. Or, pour utiliser une métaphore sportive, quand on passe pro, il faut monter le niveau de soutien : avoir un coach, un médecin, un kiné... Et, en haute montagne, il faut un guide car l'accident n'est jamais pressenti par celui qui le subit : c'est une tiers personne, le guide, qui peut dire, tu es trop fatigué pour monter aujourd'hui.

 

 

IL FAUDRAIT DONC REDONNER UNE PLACE À L'HUMAIN ET AU SOCIAL POUR RÉSOUDRE LES DYSFONCTIONNEMENTS ?

 

Quelles sont les solutions prescrites ? Mieux communiquer, informer, améliorer la gestion RH, le management. Un rapport du MEDEF, "Pour un nouveau management" conclut ainsi. Pourquoi ne le fait-on pas ? Si on l'on regarde l'entreprise à travers le prisme de la théorie de la partie prenante, on s'aperçoit qu'il y a une partie prenante qui n'est jamais prise en compte : les salariés, alors que c'est la première donnée de l'entreprise. Le degré de considération est proportionnel au degré de pouvoir de la partie prenante. Les dirigeants d'entreprise ou politiques ne se saisissent d'une question que lorsque la partie prenante fait peser une pression. Une association puissante, comme certaines associations de consommateurs, certains lobbies, peut peser. En revanche, quand il y a atomisation, comme c'est le cas des sous traitants, les acteurs n'ont aucun poids. Les salariés sont dans ce cas de figure : ils ont très peu de pouvoir, ils ne sont donc pas considérés comme partie prenante, l'entreprise ne s'interroge pas sur l'impact d'une décision sur les salariés.

 

 

QU'EST CE QUI PEUT AMENER UNE STRATÉGIE D'ENTREPRISE À FAIRE DES SALARIÉS UNE PARTIE PRENANTE DE L'ENTREPRISE ?

 

Les dirigeants passent une grande partie de leur temps à contrôler les risques. Le risque industriel et le risque financier sont tous sous contrôle. Le risque humain et social, qui va pourtant augmenter, ne l'est pas. Il n'est même pas documenté. Or pour identifier un risque, les dirigeants ont besoin des parties prenantes. Il y a des expertises aussi du côté des salariés, des représentants des salariés, qu'il faut solliciter, faire entrer dans toutes les instances, dans le conseil d'administration. Si les dirigeants ne font pas des salariés une partie prenante de l'entreprise, ceux-ci se replieront sur la force du faible : le pouvoir de nuisance, de blocage. En donnant du pouvoir aux salariés, les salariés peuvent exercer un vrai contrepouvoir mais ils ont aussi du même coup une responsabilité. Mais cette RSE doit impérativement être documentée. Pour objectiver les conséquences des décisions prises, l'entreprise doit se demander comment on mesure l'impact sur les salariés, comment on le mesure. Les dirigeants doivent comprendre qu'ils restent décisionnaires, mais qu'ils vont pouvoir disposer d'informations fiables sur leurs ressources humaines et sociales. Dans les conseils d'administration, il n'y a pas de commission de politique sociale. Pluridisciplinaire, cette commission aurait pour mission de déterminer les indicateurs pertinents : salariés sur un même poste depuis 5 ans, pourcentage de salariés qui ne prennent pas tous leurs congés, pourcentage de formations substantielles, temps de trajet de plus d'une heure. Avec une vingtaine d'indicateurs pertinents, on peut faire un diagnostic social.

 

 

S'ATTELER AU RISQUE HUMAIN ET SOCIAL PEUT PARAÎTRE RISQUÉ…

 

Ce n'est qu'en faisant des salariés une partie prenante et en se dotant des moyens nécessaires à ce diagnostic social que l'entreprise pourra identifier les problèmes. On parle actuellement de "bien-être" au travail. Or il faut appeler un chat un chat, un problème un problème. Et surtout prendre le problème dans sa complexité et construire des solutions globales. Si vous n'identifiez pas un problème, vous ne pourrez pas le résoudre. Aujourd'hui, on a surtout tendance "à euphémiser les problèmes et à marketer la solution". Le discours ambiant est consensuel. Une entreprise est pourtant une instance politique dans laquelle les décisions sont prises à proportion des pouvoirs et des intérêts des parties prenantes. Un dirigeant doit faire des arbitrages de conflits d'intérêts. La qualité de gouvernance, c'est la qualité d'arbitrage. Ce n'est pas la capacité à gommer les problèmes. Par ailleurs, il faut questionner la liberté des responsables. Les salariés sont managés par des managers qui n'ont aucune marge de manœuvre alors que la société civile, les citoyens, sont dans l'autonomisation et la démocratie participative, deux phénomènes renforcés par le numérique. Ces mêmes citoyens sont des salariés. Les salariés ont beaucoup changé et ont du mal, aujourd'hui, à collaborer sans système participatif…

 

 

REPÈRES

 

Jean Marc Le Gall, ancien DRH, docteur en Sciences économiques (Université de Paris-1) et diplômé de l'IEP Paris, Jean-Marc Le Gall est depuis dix ans consultant en ressources humaines et stratégies sociales. Il est également professeur associé au Celsa (Paris 4 - Sorbonne) et chroniqueur « Management » au journal Le Monde. Il est l'auteur, notamment, de L’Entreprise irréprochable, publié aux éditions Desclée De Brouwer.

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